Réforme du Juge d'instruction : quand l'accusatoire sert de prétexte à la "Justice politique"

Publié le par Benoit PETIT


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Je persiste : au nom des droits de la défense, il faut rompre avec le système du juge d'instruction et basculer enfin dans le système dit "accusatoire". Mais au nom des memes droits de la défense, il faut se battre contre les orientations de réforme qui ont été proposées le 9 mars dernier par la Commission LEGER dans son pré-rapport. Car meme si nous sommes encore loin d'une proposition de loi, ce premier travail préparatoire - réalisé par des proches du Président pour la plupart - est instructif et inquiétant quant au devenir de notre système pénal, ses logiques et ses équilibres. Car ce que nous esquisse la Commission LEGER est purement et simplement l'instauration d'une "Justice politique" à la solde de l'Etat, où le principe de l'accusatoire est grossièrement détourné pour servir l'intéret politique du pouvoir exécutif, plutot que l'intéret général des Français.

Inutile de revenir en détail sur les raisons qui conduisent à plaider en faveur du système accusatoire : lorsqu'une enquete est initiée contre un individu, le premier droit de la défense est justement de permettre au mis en cause de rechercher et de fournir librement l'ensemble des éléments qui lui semblent essentiels pour se défendre. La formule de Robert BADINTER - qui dit du juge d'instruction qu'il est à la fois Maigret (l'enqueteur) et Salomon (juge des libertés) - décrit parfaitement la confusion des pouvoirs qui rend l'institution du juge d'instruction si injuste aux yeux des justiciables : peu importe l'indépendance statutaire du magistrat à l'égard du pouvoir politique, il n'y a pas d'impartialité possible dès lors qu'une meme personne décide à la fois des actes de l'enquete (perquisitions, auditions, expertises, écoutes...), et du régime des libertés de ceux qui sont impliqués dans l'enquete (hormis la détention) et qui n'ont pas leur mot à dire - juste à suggérer - dans la constitution de leur dossier. Soyons clairs : cessons de nous retrancher derrière le mythe de l'instruction "à charge ou à décharge", le juge d'instruction est celui qui transforme, dans l'inconscient public, le "présumé innoncent" en "présumé coupable". Cela n'a absolument rien à voir avec la conscience professionnelle des magistrats - qui est inattaquable, j'insiste - et leur sincère bonne foi dans l'exécution de leurs missions : ce ne sont pas les Hommes qui sont défaillants, mais le système et ses logiques. De toute évidence, le système doit évoluer !

Mais si l'évolution est indispensable, sa perspective est néanmoins dangereuse selon qui décide de son orientation. Nous touchons là à l'un des socles de notre République et de la Démocratie - la Justice - et le sujet est à ce point sensible qu'il suffit d'un petit grain de sable pour gripper la machine et la retourner contre le citoyen et ses intérets élémentaires. Or objectivement, avec les pré-conclusions de la Commission LEGER, c'est tout un bac à sable qui est introduit dans la machinerie de la Justice !

Au terme du pré-rapport, la responsabilité de l'enquete "à charge et à décharge" serait intégralement transférée au Parquet, sans modification du statut de ce dernier (contrairement aux préconisations de la Commission DELMAS-MARTY qui avait déjà envisagé cette hypothèse de transfert en 1987). Le juge des libertés, qui décide déjà de la mise en détention, aurait pour sa part des pouvoirs plus importants qu'aujourd'hui, puisqu'il déciderait des mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles (écoutes téléphoniques, perquisitions...). Quant à la défense, elle n'aurait comme seule recours contre les décisions d'enquete du Parquet que de saisir le Juge de l'instruction pour lui demander (sans garantie d'obtenir satisfaction) d'intercéder en sa faveur auprès du Parquet.
Il n'est pas besoin d'aller plus loin dans la lecture des propositions de la Commission LEGER - laquelle évoque d'autres points de procédure, tels que le régime des garde-à-vues, l'opposition des parties civiles à une décision de classement sans suite... ces premiers éléments suffisent à caractériser le "bricolage" ridicule et inquiétant que l'Elysée entend réaliser à l'occasion de sa réforme.

Justice politique... voila ce qui nous attend, si par mésaventure ces orientations étaient confirmées par la Parlement. Comment qualifier autrement cette fusion subtile des Ministères de l'Intérieur et de la Justice dans la phase préalable au procès ?! Car finalement, le système reste inchangé dans ses défauts (l'exclusion de la défense dans l'avancement de l'enquete) ; en revanche, on lui ote sa seule qualité (la dissociation du pouvoir d'enquete et du pouvoir politique) ; et la conjonction de ces deux éléments conduit à faire dépendre le destin pénal du mis-en-cause au bon vouloir du gouvernement et de l'Elysée.
Soyez-en certains : une telle réforme ne changera pas grand chose pour le "petit justiciable", c'est-à-dire Monsieur et Madame Toutlemonde. Les enquetes seront réalisées dans les memes conditions qu'aujourd'hui, puisqu'il n'y a, a priori, aucun enjeu politique à défendre. En revanche, dès que l'on entrera dans les affaires "extraordinaires", soit en raison de la personnalité du mis-en-cause (un industriel puissant, un politique influent), soit en raison du contexte du litige (scandals économiques, financiers, politiques...), soit en raison d'une politique pénale spécifique voulue par le gouvernement (l'instauration d'un nouveau délit ou d'une nouvelle procédure), alors dans ces cas précis, c'est à dire ceux qui marquent l'opinion publique, ceux qui parfois meme conditionnent un comportement électoral, le pouvoir politique fera primer son mot-à-dire avant qu'un jury populaire ne se détermine. L'évidence est tellement criante que la suspiscion nous gagne : qu'est-ce que le pouvoir politique à tant intéret à étouffer pour se lancer dans pareil "tripatouillage", grossier et risible, de la Justice pénale ?

Il ne peut y avoir de système accusatoire juste sans égalité parfaite des parties dans la phase d'enquete ! Personne ne conteste le fait que le Parquet, en tant que défenseur des intérets de la société, soit une partie à l'instruction et au procès. Personne ne conteste meme le fait que le Parquet, parce qu'il est l'expression de la société, a un lien direct avec le gouvernement. Ce qu'il faut en revanche contester et dénoncer, c'est que l'une des parties - le Parquet - détiendra un avantage considérable sur les autres (celui de décider du sort des autres parties avant le procès) et que ces autres, eux, auront encore et toujours des droits de défense au rabais.

Un ami me faisait la remarque, l'autre soir, que le projet sarkoziste, tel qu'il se dessine, pourrait bien aboutir à faire élire les magistrats du Parquet à terme, voir l'ensemble de la magistrature. J'en suis convaincu ! Car allons au bout de la logique : si le pouvoir politique s'attribue l'enquete pénale à son exclusif profit, autant verrouiller définitivement le système en politisant les acteurs de cette annexion. Demain, nous voterons peut-etre pour un Procureur UMP, PS ou MoDem, comme cela se fait aux Etats-Unis... à la différence près - et elle est de taille - qu'aux Etats-Unis, les droits de la défense sont puissants et capables de faire contre-poids au pouvoir politique (lorsqu'on en a les moyens financiers, toutefois)... ce n'est pas le cas dans le projet qui nous est actuellement proposé.

Si nous n'en sommes pas (encore) à envisager officiellement l'élection des magistrats - et heureusement - nous devons garder à l'esprit la menace que représente pour la République l'idée d'une Justice qui ne se prononce que sur les éléments fournis par l'Exécutif seul, sans que les mis-en-cause puissent "moufter" pour faire valoir leurs droits. L'accusatoire, c'est tout sauf celà. C'est meme le contraire le plus substantiel !
Gardons nous de nous désintéresser de ces questions liées aux libertés individuelles, sous prétexte qu'une crise économique et sociale grave détourne notre attention. Il ne faudrait pas que nos malheurs de chomage, de pouvoir d'achat et d'injustice sociale, autorisent, en plus, les néo-conservateurs français à réduire à néant les fondements de notre idéal républicain et ce afin de mieux ancrer leur projet de société liberticide. Oui ! La France a besoin d'etre réformée, y compris en matière de Justice. Mais nous devons nous dresser contre toutes les réformes qui nous ramènent loin en arrière dans notre Histoire, à une époque où le Peuple était dépourvu de droits et de libertés !


      

Publié dans Archives

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T
Présenté ainsi, je comprends mieux. Reste que je ne pense que tout juge d'instruction soit acharné plus ou moins systématiquement à instruire à charge. Nous nous retrouvons donc dans la relation singulière d'un être humain face à un autre. Avec évidemment des statuts différents...
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B
Sur le premier point (je suis d'accord sur le second), je pense que les médias ne sont que le prisme au travers duquel la réalité judiciaire est déformée, vidée de ses nuances, amplifiée et instrumentalisée pour le sensationnel. Néanmoins, la réalité sans les médias reste la réalité : lorsqu'un mis-en-examen l'est, qu'il lui est difficile voire impossible de verser des éléments au dossier d'instruction qu'il considère comme essentiels à sa défense, et qu'il est mis soit sous controle judiciaire ou en détention "préventive", de présumé innocent il devient présumé coupable...
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T
Deux observations :<br />  <br /> « Soyons clairs : cessons de nous retrancher derrière le mythe de l'instruction "à charge ou à décharge", le juge d'instruction est celui qui transforme, dans l'inconscient public, le "présumé innocent" en "présumé coupable". »<br /> > Un juge d’instruction n’a pas à être comptable de l’inconscient public : en la matière il me semble que c’est davantage la puissance médiatique qui se charge d’influer sur ce que le public consent, plus ou moins consciemment, à penser, ou même, le plus souvent, à préférer croire.<br />  <br /> « …ce ne sont pas les Hommes qui sont défaillants, mais le système et ses logiques. De toute évidence, le système doit évoluer ! »<br /> > Les hommes, (sans majuscule), sont faillibles, justement, (si je puis dire). Il faut donc un système qui puisse permettre aux parties impliquées de parer à ces éventuelles défaillances.
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